Propositions de loi relatives aux salles de consommation et à l'usage de l'héroïne médicale

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Mardi 31 mars 2015

 

Intervention en Commission de la Justice

Propositions de loi relatives aux salles de consommation et à l'usage de l'héroïne médicale

La loi « stupéfiant » du 24 février 1921 est avant tout une loi de répression, qui n’a pas été conçue au départ pour faciliter l’innovation dans la prise en charge de la toxicomanie. 

Cependant, à deux occasions particulières, des dispositions exceptionnelles ont été introduites : 

  • En 1998 pour l’échange de seringues ; 
  • En 2002 pour les traitements de substitution (Subutex, Méthadone). 

Les 2 propositions de loi présentées aujourd’hui, s’inscrivent dans ce changement des mentalités qui a aujourd’hui un peu moins de 20 ans. 

La première proposition (N° 54-0259) vise à permettre la reconnaissance légale des lieux d’usage supervisés pour usagers de drogues (plus communément nommées « salles de consommation à moindre risque ») 

La deuxième proposition (N° 54-0260) vise à permettre à des patients sévèrement dépendants, résistants aux traitements existants, d’accéder à un traitement médical dont on sait qu’il permet d’améliorer la qualité de vie : à savoir le traitement assisté par héroïne sous forme médicamenteuse (diacétylmorphine).   

Je voudrais insister pour que, dans la suite des débats, les 2 dispositifs proposés ne soient jamais confondus. En effet, les propositions n’ont en commun :

1) Que d’être destinées à l’amélioration de la santé et de la qualité de vie des usagers de drogues.  

2) Et d’impliquer toutes deux, pour être reconnues, la modification d’une même disposition, l’article 3 de la loi du 24 février 1921. 

Mais fondamentalement, le traitement assisté par diacétylmorphine ne doit PAS être confondu avec les salles de consommation à moindre risque. 

  • SCMR : il s'agit d'offrir à des usagers de drogues diverses l'occasion de consommer dans de bonnes conditions d'hygiène et de sécurité les produits qu'ils acquièrent sur le marché illégal.
  • TADAM : il s'agit de prescrire et de délivrer, sous contrôle médical et à des fins thérapeutiques, à des héroïnomanes sévèrement dépendants, de l'héroïne sous forme médicamenteuse.
  • SCMR : il s'agit d'un accueil à bas seuil et de première ligne des usagers.
  • TADAM : il s'agit d'une prise en charge médicale à très haut seuil d'exigence pour l'usager, et qui ne peut jamais être que de deuxième ligne, c'est à dire ne s'adresser qu'à des dépendants ayant démontré leur résistance aux traitements de substitution existants !

Quelques chiffres sur la réalité de la toxicomanie en Belgique :

D’abord pour illustrer le succès (mitigé) de la politique de répression. En 2013, la police a procédé à 1.953 saisies d’héroïne, pour 112 kg saisis, soit en moyenne 57 grammes par saisie. Cela montre bien la difficulté de toucher le sommet de la pyramide.  

Ensuite pour donner une idée de l’enjeu en termes de santé publique : on estime le nombre de décès dus à la drogue à 17,4 par million d’habitants, soit 175 en Belgique par base annuelle. Il y a donc encore tout un travail à faire en matière de santé. 

Je voudrais dire à mes collègues qu’il ne s’agit pas de propositions rédigées porte close dans un local de la maison des parlementaires, ni de fantaisie personnelle.

1° Premièrement, en présentant ces propositions, je suis soutenu par tout un secteur, le secteur des assuétudes, qui est quotidiennement au contact avec la réalité de la toxicomanie, et pour qui le développement de ce type de structures est la préoccupation première (au-delà de son avenir propre).

2° Deuxièmement, je me fonde sur des prises de position officielles en Belgique fédérale. J’en citerai deux :

  • Le Plan HIV 2014-2019, présenté en mai 2013 par tous les ministres ayant la santé dans leur attribution. L’action 22 de ce plan prétend « développer des lieux de consommation à moindre risque ». 
  • La déclaration de politique régionale du gouvernement wallon : la position est tout à fait claire en ce qui concerne le traitement assisté par diacétylmorphine . 

3° Troisièmement, ces structures sont déjà largement diffusées sur le plan international : les SCMR existent dans 56 villes de 7 pays européens , ainsi qu’en Australie et au Canada. J’en ai personnellement visité certaines, comme par exemple à Herleen aux Pays-Bas. 

  •  Le traitement assisté par diacétylmorphine est légalement disponible en Suisse, en Allemagne, aux Pays-Bas, au Royaume Uni et au Danemark. Il est légalisé au Luxembourg, quoique pas encore disponible. 
  • Il a fait également l’objet d’essais cliniques à des fins scientifiques, en Belgique, en Espagne, au Canada. 

4° Enfin, quatrièmement, on peut s’appuyer sur de nombreuses publications dans la littérature scientifique : en ce qui concerne les SCMR, la littérature scientifique atteste 2 grands effets : 

  • En matière de santé publique, la réduction de la morbidité et de la mortalité (VIH, hépatite, overdoses)
  • En matière d’ordre public, la diminution d’actes de consommation dans l’espace public et la diminution du nombre de seringues abandonnées

En ce qui concerne TADAM, on peut se baser sur l’évaluation par l’Université de Liège de l’expérience pilote liégeoise qui s’est déroulée entre 2011 et 2013.  L’ULG recommande la prolongation du traitement par DAM. Elle établit que le traitement par DAM est plus efficace que les traitements par méthadone pour les personnes sévèrement dépendantes de l’héroïne. Elle atteste les effets suivants : 

  • une diminution de la consommation d’héroïne de rue ; 
  • une amélioration notable de la santé ;
  • et une diminution de l’implication dans un mode de vie délinquant.

Quelques mots sur les dispositifs proposés. Le travail de réforme législative que je propose n’est pas en soi suffisant pour aboutir à la mise en place des dispositifs souhaités. En effet, la mise en place d’unités d’accueil et de traitement de ce type dépend désormais du financement et des conditions particulières qui y seront mises par les autorités fédérées compétentes : régions et communautés.  

Néanmoins, l’autorité fédérale reste compétente à certains égards. Il lui incombe, notamment, de lever les interdictions que la loi du 24 février 1921 ferait peser sur ces pratiques médicales ou de réduction des risques.

Les 2 propositions de loi à l’examen aujourd’hui ne visent donc que cet aspect limité. 

A° En ce qui concerne les salles de consommations : 

L’article 3, § 2 de la loi du 24 février 1921 incrimine le fait de faciliter à autrui l’usage de substances stupéfiantes, soit en procurant à cet effet un local, soit par tout autre moyen.

Le but de la proposition de loi est, non pas de supprimer cette interdiction, mais de la lever, dans des conditions déterminées, pour assurer la sécurité juridique des organisateurs et des praticiens des salles de consommation.  

Une telle exception est déjà prévue par la loi de manière à permettre l’échange de seringues. 

B° En ce qui concerne TADAM : 

Lors des discussions préparatoires à la loi du 22 août 2002 visant à la reconnaissance légale des traitements de substitution, le législateur a explicitement exclu la possibilité d’assimiler à un traitement de substitution le traitement assistée par diacétylmorphine. 

Il n’est dès lors pas envisageable que le Roi, sur proposition du Ministre de la Santé, inscrive la diacétylmorphine, à côté de la méthadone et du Subutex, parmi les traitements de substitution visé à l’article 4 de l’arrêté royal du 19 mars 2004.

C’est la raison pour laquelle la reconnaissance légale du traitement assisté par diacétylmorphine doit faire l'objet d'une modification spécifique, distincte du régime légal des traitements de substitution, dans la loi du 24 février 1921. 

Tel est l'objet de la modification proposée qui ajoute un paragraphe 5 à l'article 3 de la loi en question, plutôt que de compléter le paragraphe 4.

Un mot pour conclure. 

Chacun peut être confronté un jour, pour soi-même ou des proches, à des conduites addictives. 

Les conséquences terribles engendrées auprès des personnes, des familles, les dommages d’ordre physique, psychologique et social, les coûts pour l’ensemble de la collectivité, sont majeurs et intolérables.

En ma qualité de Bourgmestre de la ville de Liège, je suis touché par ce fléau de la toxicomanie.

Dès le milieu des années 90, Liège a mis sur la place publique son intention de voir se développer, à côté des traitements de substitution, un nouveau mode de traitement des héroïnomanes, la délivrance d’héroïne sous contrôle médical.

La première prise de position politique officielle en la matière date de 1996, époque où unanimement toutes les familles démocratiques du Conseil communal se sont prononcées en ce sens.

Nous avons toujours veillé à avancer main dans la main avec les autres groupes politique à Liège. 

Le traitement assisté par diacétylmorphine a fait l’objet d’une expérience pilote, soutenue par l’ensemble de la classe politique.

L’idée conjointe de mettre en place une salle de consommation à moindre risque a été mise en sommeil un temps, mais figure dans les revendications de la ville depuis 2002 et aujourd’hui dans le projet de Ville 2012-2022.

Ces projets s’inscrivent dans le cadre de notre plan stratégique liégeois en matière de drogues, qui est basé sur quatre piliers : 

  • la prévention ;
  •  la réduction des risques ;
  • la thérapie ;
  • la répression.

Il ne s’agit donc pas de « remède miracle », mais de deux maillons dans une politique globale et intégrée en matière de drogues, dont un des axes est la diversification de l’offre de soins. 

TADAM

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