Monsieur le Premier Ministre, vous déclariez avant-hier à cette tribune : « la politique du Gouvernement se basera sur la coopération, la prévention et l’action efficace des services de sécurité ».Mais quelle action efficace des services de sécurité visez-vous ?
J’ai beau lire et relire votre Accord de majorité : je ne vois nulle part d’engagement clair quant au financement de votre politique en matière de sécurité :
1. En matière de Police et de Sécurité
Je me permets ici de revenir à vos déclarations d’hier concernant la trajectoire budgétaire pour ce qui est de la sécurité et des services de secours.
Il demeure des flous qu’il est nécessaire de clarifier
Concernant les Zones de secours : j’ai compris que la trajectoire budgétaire définie par le comité de monitoring sous la précédente législature serait bien maintenue. Pourriez-vous le confirmer ?
Qu’en sera-t-il du soutien aux communes, dans la mise en place des mesures d’urgence en cas de délestage électrique ?
Pour les zones de police : je suis inquiet et étonné sur votre volonté d’une réduction de la dotation fédérale des zones de l’ordre de 2%.
Si j’ai bien retenu : montant maximum prévu dans l’ébauche budgétaire de 14,5 millions EUR en 2015 sur montant de 725 millions EUR. Si je comprends bien, ces 14,5 millions sont bien ceux inscrits « en moins » dans le cadre d’un saut d’index ?
Il reste une zone d’ombre dans votre discours : si la totalité des 2% de réduction de la dotation fédérale est avérée, il serait bon que le gouvernement fixe rapidement quelle est la part qui touche aux traitements et la part qui vise les frais de fonctionnement.
Cette réduction de 2% va-t-elle s’appliquer de manière linéaire à chaque zone ?
Qu’en sera-t-il pour la Police fédérale qui rappelons-le, vient aussi en soutien aux zones de police locales ?
Qu’en sera-t-il de l’amélioration du financement des zones de police, de la révision de la norme KUL, des critères retenus ?
Rappelons-nous que durant la campagne électorale, la N-VA déclarait que les ZP wallonnes étaient avantagées (ce qui est faux !). Devons-nous être encore plus inquiets ?
Vous ne confirmez pas le niveau de recrutement : allez-vous maintenir les efforts engagés par le précédent gouvernement à cet égard ?
Les subsides aux Écoles de police seront-ils maintenus ou diminués ?
Je suis aussi inquiet sur l’impact sur les finances des zones locales de police de votre solution au sujet de l’arrêt de la Cour Constitutionnelle relatives aux pensions des policiers.
J’ai compris que vous alliez proposer un « congé préalable à la pension » : est-ce les zones de police qui vont devoir le financer ?
Avec quels mécanismes de soutien du fédéral … qui va déjà diminuer de 2 % ! C’est un jeu de dupe !
Sachez Monsieur le Premier Ministre que l’ensemble des mandataires communaux seront particulièrement attentifs à vos engagements budgétaires.
Ce sera votre épreuve de vérité et c’est sur cette base que nous pourrons juger du sérieux et de la sincérité de vos déclarations !
En ma qualité de Bourgmestre, je suis confronté au quotidien – comme tous mes collègues du nord, du centre ou du sud du pays – aux demandes de sécurité et de bien-vivre ensemble de nos concitoyens.
Alors, au-delà des mots et des déclarations, concrètement : « qu’est ce que ce Gouvernement va apporter aux communes pour améliorer la sécurité, renforcer la cohésion sociale et le vivre ensemble ? »
2. Conception de la sécurité
Deuxièmement, j’ai des interrogations mais surtout des inquiétudes sur votre conception de la sécurité.
J’ai lu avec beaucoup d’étonnement l’interview de votre Ministre de l’Intérieur qui se donne les habits virils du premier policier du Royaume. On va voir ce que l’on va voir !
On apprend ainsi que, face aux multiples menaces qui nous assaillent, le Gouvernement va renforcer les méthodes de recherche, les banques de données, les services de police, la répression des « vilains jeunes, étrangers, mendiants »… Nous sommes ici clairement dans un climat qui oppose et qui divise.
Votre accord de majorité parle de limiter les priorités du Plan national de Sécurité : lutte contre le terrorisme, le radicalisme. Sans nier l’importance de ces menaces, comment rencontrez-vous les préoccupations quotidiennes des citoyens dans les quartiers ?
J’ai aussi lu que vous alliez mettre en place un Conseil national de sécurité. Je reste dubitatif à ce sujet.
Qu’il faille améliorer le fonctionnement de l’actuel collège de sécurité et de renseignement, bien entendu, mais pourquoi ?
Un Conseil des ministres « bis » ? Quelles seront ses prérogatives ? Quelle transparence ? Comment s’exercera le contrôle parlementaire ?
En ce qui me concerne, je voudrais une représentation des grandes villes dans votre Conseil National de Sécurité !
Car moi, mon quotidien de Bourgmestre, c’est aussi de répondre aux interpellations des citoyens concernant la vitesse excessive, le tapage nocturne, les nuisances, la gestion de l’espace public, la toxicomanie.
La toxicomanie, parlons-en !
Je lis que la détention de drogues sera interdite et ne pourra plus faire l’objet d’une tolérance.
Je déplore ici une approche exclusivement répressive de la toxicomanie, qui ne laisse a priori aucune place pour les initiatives en matière de réduction des risques et de diversification de l’offre d’aide et de soins.
Une approche réclamée tant par les travailleurs de terrain, les experts que par les services de police et de justice !
Votre vision de la prise en charge de cette problématique est inapplicable sur le terrain ! Favoriser la verbalisation sans tenir compte des possibilités d’absorption des Parquets, quelle belle solution !
Et cela alors que Christian De Valkeneer, Procureur Général de Liège, membre du comité de direction du SPF Justice, estime le déficit de la mise en œuvre des politiques de poursuites à 90 M€ !
Une de vos pistes pour retrouver de la capacité financière est peut-être votre volonté de revoir la législation sur le gardiennage ?
Cette législation doit être revue pour « moraliser » le secteur et mieux garantir les droits des citoyens, mais est-ce bien de cela qu’il s’agit ? Ne devons-nous pas plutôt nous attendre à une augmentation du périmètre d’intervention du Privé, comme supplétif de la Police et de ses méthodes d’investigation ?
Sur la conception de la sécurité, expliquez-moi ! Je n’identifie pas clairement vos objectifs stratégiques !
3. Proximité
Monsieur le Premier Ministre, vous déclariez avant-hier à cette tribune : « Le gouvernement souhaite que la police soit le plus possible disponible sur le terrain ».
Police de proximité, nous sommes tous d’accord !
Sauf qu’aujourd’hui, la première grève à laquelle votre gouvernement est confronté, ce n’est pas celle des cheminots ou des dockers, mais celle des policiers !
Les policiers sont bien disponibles, mais plutôt dans la rue pour manifester !
Cela commence mal !
J’en viens ici aux dispositifs de proximité, qu’ils émanent de la Police ou du secteur de la Prévention.
Nous socialistes, n’avons aucune leçon à recevoir en matière de sécurité.
• Prévention
Je rappelle qu’en 1992, dans un contexte post-émeutes à Bruxelles, c’est le groupe socialiste qui a initié la mise en œuvre d’une politique de sécurité et de prévention intégrée en Belgique.
L’émergence des « contrats de sécurité » (devenus Plans Stratégiques de Sécurité et de Prévention), leur articulation avec les services de police, veillent à garantir aux citoyens leur sécurité physique mais aussi leur sécurité d’existence et leur bien-être dans les quartiers.
Personne n’ose aujourd’hui remettre en cause cette stratégie.
Le secteur de la Prévention aujourd’hui en Belgique, c’est un soutien fédéral et régional à plus de 100 communes et 3.000 agents de proximité professionnels.
C’est aussi des filières de formation (Gardiens de la Paix, Stewards,…), des formations qualifiantes dans les écoles techniques et un Master en sécurité urbaine reconnu au niveau européen.
Je prends bonne note de votre souhait de vouloir évaluer de manière approfondie le secteur mais je demande que les questions liées à la pérennisation des dispositifs de prévention, des plans drogues, des services d''''''''encadrement des mesures judiciaires alternatives, soient d’urgence inscrites à l''''''''agenda politique du nouveau gouvernement et ce, en concertation avec les autorités régionales et locales.
• La police de proximitéLa police de proximité est d’abord sous la responsabilité des mandataires locaux et représente une composante essentielle de notre sécurité.
A la lecture de certains passages de votre accord de majorité, on peut craindre une diminution de l’autonomie des autorités locales, un renforcement de la tutelle et de l’intervention du fédéral dans l’organisation et le fonctionnement même des zones locales de police et ce, avec une charge financière toujours plus reportée sur les communes.
4. Radicalisme
Je terminerai mon intervention sur la lutte contre le radicalisme.
Il est évident que nous devons prévenir et lutter contre le terrorisme et le radicalisme violent.
Le PS n’a jamais été laxiste en matière de sécurité et a été ferme à ce sujet.
Mais, au-delà de la musculation et de la dramatisation, je m’interroge sur la concrétisation des propositions émises.
Comme pour toutes les mesures sécuritaires, trois critères doivent être pris en considération pour apprécier le bien-fondé de celles-ci :
1° La pertinence : les mesures proposées sont-elles appropriées, bien ciblées et efficaces ?
2° La faisabilité : les mesures sont-elles bien applicables ? Les budgets et les moyens disponibles sont-ils en suffisance pour les mettre en œuvre ?
Et 3° Leur compatibilité avec les libertés publiques : y a-t-il un juste équilibre entre l’objectif poursuivi et l’atteinte à l’exercice des libertés publics de tous les citoyens ?
À la lecture de l’accord, on reste perplexe à la fois sur la pertinence des nouvelles mesures proposées, dont certaines pourraient même s’avérer contre-productives ; sur leur faisabilité, car cela va supposer des engagements budgétaires conséquents, ainsi que sur leur compatibilité avec le respect des libertés de tous les citoyens.
J’ai la fâcheuse impression d’être devant un « catalogue de mesures » dont certaines sont déjà mises en œuvre (ex. les radiations, la coopération internationale).
J’espère que nous aurons rapidement le débat à ce sujet sur des bases objectivées et avec des propositions pragmatiques et concrètes de votre part.
Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Ministre de l’Intérieur,Nous avons besoin d’actes, et pas de déclarations.
Nous avons besoin de décisions pragmatiques répondant aux besoins des communes, des services de police, des services de renseignement, des femmes et des hommes qui à chaque instant œuvrent pour la sécurité de tous les citoyens, pour le vivre ensemble, pour l’émancipation et la cohésion sociales, pour la paix publique, pour la démocratie.
Jeudi 16 octobre 2014
Sécurité